Une gestion de pâture adaptée pour les chevaux

Il semble de bon sens que la prairie, soit a priori un espace de prédilection pour les chevaux. Quoi de plus naturel que de mettre un herbivore en extérieur et à l’herbe ? La logique voudrait que nous puissions dans l’idéal mettre nos chevaux dans des prairies suffisamment grandes pour subvenir à leurs besoins. Procurer aux chevaux, par le pâturage, un environnement naturellement propice à développer leurs activités journalières, à satisfaire leurs besoins physiologiques et mentaux, à créer des liens sociaux et à soutenir leur éveil et curiosité.

Oui, mais voilà que la transposition de l’animal capable de subvenir à ses propres besoins à l’état sauvage ne soit pas aussi simple ramené à l’état théorique d’un cheval par hectare de prairie clôturée. Il est même assez déroutant de constater que le pâturage tel qu’on le conçoit classiquement ne soit pas si bien adapté pour le cheval.

D’abord il apparaît que le cheval « livré à lui-même » sur une pâture finisse par abîmer sérieusement cet espace de verdure, qui passe progressivement d’une prairie riche en espèces prairiales en une aire géographique hétéroclite composée de zones de refus, de zones piétinées et boueuses, de zones où s’accumulent les crottins entre lesquelles il n’y a plus qu’une herbe rase et chétive, du trèfle et des plantes impropres à la consommation… sans compter l’oisiveté subit par le cheval.

Que s’est-il passé ?

Par ailleurs la prairie peut s’avérer être une source d’angoisse pour le propriétaire qui craint de voir son cheval au mieux prendre du poids, au pire déclencher une fourbure, un syndrome métabolique équin (SME) ou une autre de ces « maladies à l’herbe » difficiles à soigner. Sans compter la gestion des plantes « toxiques », samares d’érable sycomore, glands de chêne, porcelle, qui transforment la pâture, et par la même notre rapport au sauvage et au vivant, en milieu hostile et dangereux.

Le pré peut également être synonyme de corvée quand il s’agit de la gestion des crottins qu’il faut ramasser pour ne pas qu’ils s’accumulent dangereusement aux quatre coins de la parcelle. Question épineuse qui implique là encore un sujet stressant, celui bien entendu du parasitisme.

Mon approche est volontairement caricaturale, mais soulève la question d’un pâturage et d’une gestion de ce pâturage qui soit adapté au cheval. Pour aborder cette question il nous faut d’abord déloger plusieurs biais cognitifs conséquents dans notre approche classique de la pâture.

Premièrement, en tant que propriétaire de chevaux notre attention se porte avant tout essentiellement sur notre animal, alors qu’implicitement il n’est qu’un élément d’un système plus grand dont nous avons également la responsabilité dès lors qu’on souhaite vivre avec un herbivore. Ce système se compose de nombreux éléments en équilibre dynamique, chacun avec ses fonctions et besoins propres, qu’il convient de prendre en compte pour le bien être de chacun. Parler de la santé de notre cheval implique donc de s’intéresser à celle du sol, et à celle des plantes et des animaux avec lesquels il interagit. Avec la domestication, à cet ensemble s’ajoute l’humain comme observateur et acteur de ce système.

Ce qui nous amène au deuxième point : la gestion de pâture ne va pas forcément de soit. Elle résulte d’un ensemble de contraintes liées à la domestication et nous implique indubitablement en tant qu’acteur et gestionnaire d’un milieu que nous avons nous même artificialisé. Or le vivant repose sur une longue histoire évolutive et des bases biologiques qui doivent nous servir de modèles si nous souhaitons préserver l’équilibre dynamique sol/plantes/animaux qui garantit la pérennité et le bien-être de notre agrosystème.

Les sciences et l’étude des modèles naturels, nous donnent à voir de plus en plus précisément l’importance des équilibres écosystémiques et de la biodiversité, ainsi que la richesse et le rôle capital des micro-organismes, aussi bien dans les sols que dans nos intestins, et comment le bouleversement des uns a une incidence sur la santé des autres.

Nous avons également une meilleure compréhension du rapport entre le végétal et les conditions pédologiques, comment les plantes nous parlent de ce qui se passe dans le sol, chacune ayant un rôle bien précis dans la régénération ou le maintien de cet écosystème, ou encore l’importance de l’arbre et de la haie dans le maintien de grandes fonctions écologiques telles que la gestion de l’eau et des sols, la régulation climatique ou l’accueil de la biodiversité.

Enfin, nous avons désormais suffisamment de recul sur l’incidence de la plupart de nos activités humaines sur l’environnement et une diversification croissante de solutions accessibles à tous pour y faire face, s’inspirant d’une meilleure compréhension des modèles naturels ayant depuis longtemps fait leurs preuves, pour que chacun puisse saisir l’importance de concevoir des systèmes productifs, résilients et écologiquement viables et s’y engager.

Il s’agit donc dorénavant de redévelopper notre sens de l’observation en lien avec ces nouvelles connaissances du vivant afin de comprendre ce qui est en train de se passer dans nos pâtures (zones de refus, cortèges floristiques et plantes indésirables, pousse de l’herbe, problématiques en lien avec les changements environnementaux et climatiques, etc) afin d’être en mesure de prendre des décisions éclairées et adaptées à la portée de chacun.

 Troisième point, nous associons la pâture à un système de production d’herbe de type « prairie » que l’animal parcourt librement à l’intérieur d’une clôture. Mais là encore une étude approfondie nous permet d’ouvrir de nouveaux « champs » concernant la conception des espaces où mettre nos chevaux.

D’une part, laissé trop longtemps sur une même zone clôturée, même a priori suffisamment grande, le cheval va vite y avoir un impact négatif. Au lieu de contribuer au cycle vertueux du vivant comme cela a était le cas tout du long de sa vie sauvage, voilà que le cheval domestique se retrouve en très peu de temps et malgré lui acteur de la dégradation de son milieu : surpâturage, baisse de productivité, pousse d’une herbe rase pauvre en fibres et riche en sucres solubles et en nitrates néfaste pour le cheval, accumulation de crottin initialement fertile mais devenu déchet, perte de biodiversité et évolution de la flore vers des espèces indésirables et potentiellement toxiques, tassement des sols alors incapables de gérer l’absorption de l’eau et la redistribution des nutriments, etc. Il n’y a par ailleurs plus aucune surprise dans le quotidien de l’animal qui littéralement tourne en rond. Comment l’animal peut-il être bien ?

D’autre part, ce n’est pas parce que le cheval est classé comme étant un « herbivore » que son régime se cantonne à la consommation stricte d’herbe, bien au contraire. Une prairie en bonne état, et c’est là l’un des enjeux de la gestion de pâture, s’avère être potentiellement un écosystème d’une grande richesse floristique, aux bienfaits sanitaires, nutritionnels et organoleptiques bénéfiques pour le cheval. Elle satisfait une partie de ses besoins physiologiques et contribue ainsi à sone équilibre mental.

Le passage bref de l’animal stimule quand à lui l’écosystème prairial. Non seulement ce dernier est capable d’encaisser une forte charge animale, pourvu que ce soit de courte durée, mais cela lui est même profitable. La coupe de l’herbe, si elle ne touche pas les zones de réserves de la plante, va au contraire stimuler son tallage et sa croissance. Une partie des racines ainsi que les parties foulées par le pied de l’animal va nourrir la flore du sol et ainsi stimuler en retour la croissance d’une herbe de qualité accompagnée d’un cortège floristique d’intérêt. Par ailleurs l’animal, en faisant ses besoins, va nourrir la prairie avec des apports concentrés en nutriments que la prairie en bonne santé va être en mesure de digérer rapidement et de redistribuer à l’ensemble de sa surface grâce à la vie active de son sol, gérant par la même les problèmes de refus et la présence vermineuse dans les excréments. Enfin, l’animal est là gestionnaire de ce milieu, maintenant cet écosystème ouvert en empêchant la friche de reprendre le dessus.

Il s’agit donc de ne plus passer à côté de ce qui lie à l’état naturel la pâture et l’herbivore en un cycle vertueux bénéfique aux deux parties : un nomadisme de l’animal dans le temps et l’espace offrant des temps de présence courts sur les zones broutées suivis de temps de repos longs de ces mêmes zones. La gestion de pâture implique de comprendre cette dynamique et de s’en inspirer grâce à un système de rotation à l’intérieur d’un parcellaire adapté aux besoins de l’animal et à ceux de la prairie.

De la même manière l’arbre, la haie ou la « friche » fournissent également des fourrages et des services de haute qualité, très appréciés des équidés, et complémentaires à un système prairial. Ils offrent de fait une polyvalence et une diversification peu ou pas exploitée dans la plupart de nos systèmes de pâturage d’autant que l’arbre et la haie offrent par ailleurs de multiples productions (ombre, fraîcheur, fruits, bois, etc) et services écosystémiques (habitat et corridor de biodiversité pour la faune sauvage, brise vent, tempérance climatique, absorption de l’eau et conservation des sols, captation du carbone, etc) qui, compte tenu des enjeux environnementaux qui caractéristiquement notre époque, fond de ces éléments, auxquels on pourrait rajouter les mares ou autres pièces d’eau, de formidables partenaires dans la conception et l’aménagement d’espace fonctionnels, productifs et résilients.

La biodiversité s’avère être plus que le fait de répertorier un grand nombre d’espèces, elle a également trait à la richesse des fonctions, des potentiels et donc des relations à l’intérieur d’un système, que ce soit dans le sol ou à sa surface. Chaque élément a sa place et contribue à l’ensemble par un jeu riche et complexe d’interactions favorisant l’autonomie et la productivité du système. En écologie on parle de niche écologique. Il s’agit à cette échelle de réinventer la place des chevaux à nos côtés, en réfléchissant en premier lieu bien sûr à comment satisfaire leurs besoins, mais également à la polyvalence de ce qui est mis en place pour y répondre : une simple clôture devient une haie fourragère brise vent qui, perpendiculaire à la pente, favorise l’infiltration de l’eau de ruissellement, produisant du bois, des piquets, des fruits et offrant le gîte et le couvert à une ribambelle d’insectes, oiseaux, reptiles, mammifères et plantes utiles à la productivité et à la stabilité de l’ensemble ; mais aussi comment le cheval lui-même peut à nouveau contribuer à l’ensemble : revalorisation des crottins, entretien des zones ouvertes, stimulation des prairies, maintien des chemins, force motrice, etc.

Dès lors la santé de notre cheval passe par une nouvelle conception de la « pâture ». Il y a même une inversion qui s’opère : avant d’être éleveur de notre cheval il nous faudrait être un éleveur du sol et un gestionnaire averti de la santé et de la diversité des écosystèmes qui se développent à leur surface ! Nous pouvons même nous autoriser une hypothèse : et si nos chevaux étaient un point de départ pour agir sur la santé de manière globale en nous poussant à une pratique qui restaure le paysage dans ses grandes fonctions productives et écologiques, comme la production de fourrages de qualité et diversifiés, mais également la gestion de l’eau et des sols, le soutien de la biodiversité, le confort climatique à l’échelle locale, la valorisation du carbone, la production de produits annexes tel que le bois, les fruits, les « simples », la production de bien-être et de sens à nos actions.

Alors concrètement c’est quoi la gestion de pâture ?

Premièrement retour sur « l’élément » cheval :

– revenir sur les origines des équidés et leur écologie avant la domestication, et voir à travers sa morphologie, son anatomie, sa physiologie et son éthologie, les caractéristiques évolutives qui le lient à un mode de vie et de pâturage qui lui est propre
– mieux comprendre la biologie du cheval, le rôle capital de son microbiome intestinal et de fait comment un environnement hautement biodiversifié joue en faveur de sa santé.
– prendre en compte les notions d’adaptation (ce à quoi les équidés se sont adaptés depuis des millier d’années) et d’adaptabilité (ce à quoi ils peuvent s’adapter) pour cerner les enjeux d’une domestication respectueuse des besoins physiologiques, psychologiques et environnementaux du cheval.
– sortir la relation humain/animal du rapport dominant/dominé et la repenser en termes d’altérité et de partenariat

Deuxièmement, apprendre à connaître la « pâture » et comprendre ce qui lie l’animal au sol et au végétal :

– S’intéresser au fonctionnement des écosystèmes naturels pour comprendre les liens intimes et dynamiques entre le sol, le végétal et l’animal et comment respecter le rôle et les besoins de chacun de ces trois éléments.
– Comprendre ce qu’est le sol et comment il caractérise le type de prairie qui s’y développe.
– Qu’est-ce qu’une « bonne pâture »
– Evaluer et gérer la santé d’une pâture grâce à l’analyse de son cortège floristique et ainsi reconnaître, interpréter et gérer l’apparition des zones de refus, des plantes « indésirables » et des plantes toxiques
– Comment la gestion des crottins et du parasitisme est directement concernée par une bonne gestion de la pâture, et inversement, au-delà du cheval, quels sont les répercussions de la vermifugation chimique et de l’antibiothérapie…
– « mise à l’herbe », « rotation de pâture », « production de foin », « zones de refus », etc : se réconcilier avec la physiologie végétale et la grande famille des graminées à travers une compréhension simple de la dynamique de pousse de l’herbe et du cycle de développement et d’évolution de sa composition chimique au cours de l’année
– Réintégrer le rôle de l’arbre et de la haie dans nos pratiques et élargir notre conception du pâturage et des espèces fourragères bénéfiques pour le cheval

Troisièmement être en mesure de concevoir et mettre en place une gestion de pâture efficace et durable adaptée à notre lieu :

– Savoir faire un diagnostic de terrain et une bonne lecture paysagère pour mieux comprendre son lieu et faire des choix qui valorisent sa productivité globale et sa durabilité
– Prendre en compte et valoriser les ressources clefs d’un système (soleil, eau, nutriments, humus, biodiversité) et intégrer les enjeux écologiques actuels
– S’approprier des outils et techniques de gestion holistique des pâtures au service du sol, des plantes fourragères et de la santé animale en s’inspirant de l’observation directe des modèles naturels : remise en état, rotations et temps de repos des pâtures, charge de pâturage, parcellisation et cheminement, mise à l’herbe, production de foin, pâturage mixe, diversification des fonctions et productions, etc
– Se familiariser avec une conception élargie de notre système et des éléments qui le composent pour une intégration écologique et fonctionnelle cohérente à l’échelle paysagère (gestion de l’eau, régulation climatique, continuité biologique, oasis de biodiversité, etc).

Pour conclure, l’objectif de ce travail n’est pas de donner des recettes toutes faites ni de définir un pâturage idéal. Il vise avant tout de permettre à chacun.e de comprendre l’influence des différents éléments qui contribuent à la réussite ou à l’échec d’un pâturage, de savoir les observer et les évaluer, et d’apprendre à contextualiser son lieu avec les atouts et contraintes qui le caractérisent pour que chacun.e puisse prendre les bonnes décisions le moment voulu et améliorer au mieux son système.

Il n’est pas non plus nécessaire de passer un diplôme de biologie ou de maîtriser l’ensemble des sujets évoqués ci-dessus ! Il s’agit surtout de développer un nouveau sens de l’observation qui remet les processus biologiques et la vie au centre de nos choix et aménagements, et au service d’une cohabitation vertueuse avec le règne du vivant.

Jérémie Ancelet

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